Après 18 ans d’enseignement, et 8 années à la tête de ma propre école En blanc et noir, j’aurai pu écrire un livre d’anecdotes savoureuses sur un tas de situations plus cocasses les unes que les autres. Finalement, j’ai commencé à mettre par écrit certaines réflexions que m’ont inspirée des années traversées en compagnie d’enfants que je vois grandir semaine après semaine, mois après mois, note après note. Je vous en livre quelques-unes qui racontent ma façon d’enseigner.
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La pratique du piano, et de la musique en général, est à la fois un défi intellectuel et un éveil de la conscience corporelle. Ces deux éléments permettent à chaque enfant de trouver de multiples intérêts à l’apprentissage de cet art si particulier.
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Lorsqu’un enfant très jeune commence l’apprentissage de la musique, cela doit être une histoire de famille. Non pas que les parents doivent être musiciens ou même mélomanes, mais toute la famille doit se sentir impliquée. C’est en ce sens que la méthode Suzuki, dans laquelle un des deux parents commence à apprendre d’abord, trouve tout son fondement. C’est en voyant son père ou sa mère jouer que l’enfant aura le désir de faire de même. En tant que parent, il ne s’agit pas seulement de suivre l’apprentissage de son enfant, mais aussi de s’être senti à la place d’apprenant. Le souvenir de cette sensation placera toujours le parent en aidant plus qu’en juge.
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Un enfant en bas-âge ne fait pas la distinction entre le piano et le professeur de piano. Il est donc nécessaire que ce lien individuel avec l’enseignant soit entretenu avec soin et tendresse. Si en famille on ne parle jamais du prof, on ne parle jamais de piano. Les deux sont trop indissociables lorsqu’on commence à 3 ans le piano. Le constat que tous ces enfants qui passent entre mes mains associeront leurs premiers souvenirs musicaux à moi me donne le sourire; un sourire intérieur qui illumine toute une partie de ma vie. Dans son ouvrage « Chagrin d’école », Daniel Pennac évoque l’amour nécessaire du professeur envers ses élèves. Il avoue que c’est un sujet dont on parle très peu durant la formation d’enseignant, bien qu’il soit essentiel. De l’extérieur cet amour peut s’apparenter à un amour maternel, mais il ne me semble pas s’agir de cela. La transmission en fait bien entendu un amour ressemblant à celui des parents. Le rapport d’autorité aussi. Mais je pense cependant qu’un professeur peut déployer plus de patience, de tendresse et parfois de bienveillance à l’égard de ses élèves que n’importe qui d’autre. Ceci pour la simple raison que cet amour n’a rien d’exclusif. Si on peut donner de la patience à un, on peut la donner à 30 ou à 45 élèves.
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Comme on plante une graine et l’on vérifie chaque semaine si elle a besoin d’eau, on la regarde pousser, on la guette. Lorsqu’on est professeur, comme le jardinier, on se laisse surprendre, on est patient et impatient à la fois, calme et excité, ravi et déçu, impliqué et détaché. Chaque enfant évolue et grandit à sa propre vitesse: et c’est cette spécificité propre à chacun qui fait la magie de ce métier.